Escape from LA / OS #2

« À leur rythme, pas à pas. » C'était ce sur quoi ils s'étaient entendus. Pas à pas, après une des répétitions pour le défilé de Noël, avec le recul il trouvait ce choix de mots particulièrement judicieux. Ils n'avaient jamais rien fait autrement qu'à leur rythme, aussi inégal et régressif puisse t'il être. Se dire qu'ils pouvaient essayer de prendre les choses comme elles venaient, aussi lentement qu'ils pouvaient, n'avait été au final qu'un moyen de se pardonner sans le dire. De se côtoyer sans avoir à penser, pour l'instant du moins, à tous ces secrets qu'ils comptaient bien garder jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'autre issue possible.
Jack s'apprêtait à envoyer tout ce travail sur eux, sur lui-même en l'air, une nouvelle fois. Le pire dans tout cela, c'était qu'il connaissait Wolfe par cœur, et qu'il ne doutait pas un seul instant qu'elle céderait à ce qu'il considérait déjà comme un énième caprice. Soudain, une nouvelle douleur le rappelle à l'ordre, un muscle se tord dans son abdomen, il serre son téléphone contre sa paume. Assis sur son canapé, il se recroqueville le temps que la crampe passe, et soupire lorsqu'il rouvre les yeux. Le contact de Lucy sur son téléphone l'intimide, sa photo plus ou moins récente encore plus. Son estomac se retourne à nouveau, pour une raison toute autre. Un coup d'œil à Tequila, qui a la tête posée sur sa cuisse pour mieux l'observer, et le musicien balaye son écran vers la droite. Il s'éclaire en bleu, une, deux, trois sonneries. Il a déjà entamé un nouveau soupir lorsqu'une petite voix l'interpelle à l'autre bout de la ligne. Jack lance un regard à sa fenêtre, au soleil qui grimpe timidement derrière des buildings. Il est tôt, un weekend. Il n'y avait pas pensé, il n'avait pas pensé à grand chose. Juste à lui-même. Ne pensait-il donc jamais à autre chose que lui-même ? Il baisse les yeux vers son chien, la bouche ouverte bêtement, impossible de répondre à la jeune femme qui répète une deuxième fois son nom.
Jack ne réfléchit même plus, c'est le vide dans son crâne. Il a oublié pourquoi il a appelé. Le bruissement des draps de Lucy ne le réveille pas, trop occupé à se concentrer sur les crampes qui reviennent.

« Jack, tout va bien ? » qu'elle lui demande, innocemment. Wolfe vient de se réveiller, il est convaincu qu'elle ne conçoit pas la douleur qu'il s'apprête à lui communiquer. « Non- », le pianiste s'entend répondre.
Silence. Ce n'est pas dans leurs habitudes, ça ne l'est plus depuis la fin du lycée. De s'ouvrir, comme ça. Ça faisait longtemps que Jack avait été aussi franc. Lucy ne répond pas, attendant probablement qu'il développe.

À nouveau, ça lui prend du temps. Il y arrive, finalement, tâtonne avec quelques syllabes. « dis, tu crois que tu pourrais venir m'aider ? » Sa main s'est perdue sur la tête du corgi, caresse tout doucement du bout du pouce le pelage entre ses yeux. L'animal s'est finalement endormi, après lui avoir tenu compagnie toute la nuit. « mais- … bien sûr, mais quand ? » Évidemment. Il aurait préféré se tromper. Sa gorge se noue. « quand tu pourras, c'est pas pressé. »

Silence, encore. Elle n'ose pas demander, trop polie. « ça fait huit jour que j'ai rien touché, » Lucy soupire, Won comprend alors qu'elle s'en doutait probablement. Qu'elle voit les complications possibles, immédiates avant tout le reste. Qu'elle s'inquiète toujours autant, après tout ce temps.
Il ne sait plus quoi penser, laisse son cerveau divaguer sans le stopper. « C'est la première fois que je tiens plus d'une semaine, » Ce qu'il se retenait de dire depuis le début, une fierté un rien honteuse qu'il ne pouvait partager qu'à son amie.
Le silence l'avait toujours inquiété. Jack avait appris à détester le silence après le départ des Wolfe de Los Angeles, à en avoir une peur viscérale après le décès de sa mère. À l'apprécier, paradoxalement, après avoir digéré la disparition de Mara. Chose difficile, à l'instant T, tant et si bien qu'il se sentit obligé de se justifier. « je- j'ai peur d'y retoucher si je suis.. seul »

L'irlandaise soupire un instant, sans aucun doute pour peser ses mots. « et, tout va bien ? Tu le vis comment ? » et Jack, par réflexe, rit légèrement, un mouvement qui réveille ses crampes. « Ça fait un peu mal, mais ça pa- » Lucy le coupe, « J'arrive tout de suite. » de nouveau, il rit légèrement. Il l'avait vu venir, mais n'avait pas put se résoudre à lui mentir pour autant - elle finirait par l'apprendre de toutes façons.
Elle a déjà raccroché, et la connaissant, la petite brune devait être en train de se préparer à partir. Il n'y avait que très peu de choses qui la mettaient dans un tel état, la détresse de Jack en était une. Désormais, il ne restait à Won qu'à espérer que les crampes les plus intenses soient passées avant son arrivée. Par SMS, il la prévient qu'il a laissé la porte ouverte pour elle, puis s'allonge sur son canapé tout en grimaçant. De toutes les saloperies qu'il aurait pu prendre, il avait fallu que ce soit celle qui lui donnait d'affreuses douleurs musculaires et osseuses aux bras, aux jambes et aux mains.
Son maître en boule sur le côté, Tequila se sert contre sa poitrine.

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UC.